BIOGRAPHIE

Multiples visages

Nous sommes au début des années 80. Je commence ma carrière à titre professionnel. Je viens de rencontrer mon tout premier courtier. Il habite à Draveil et il m'achète mes premiers tableaux. A un prix dérisoire certes, mais je vous assure que je ne suis pas peu fier !...

Donc une fois par mois environ, je livre mes tableaux. Il fait ses choix, me règle c'est toujours le dimanche matin car le lundi il charge son camion et sillonne la France pour placer ses tableaux dans diverses galeries de province, surtout en Bretagne.

La première fois que j'ai vu une de mes toiles, c'était à Orléans, rue de Bourgogne, et j'étais ému comme un gosse devant cette vitrine de galerie. Souvent ces lieux étaient jumelés avec un petit magasin d'encadrement ou de fournitures pour beaux arts. C'était comme ça en province mais je m'en souviens comme si c'était hier !...

Notre petite association allait gentiment mais le "Français" est compliqué en affaire et je ne pouvais pas plaire à tout le monde. J'en ai déjà parlé, mais les gens sont hyper compliqués. Aussi ils ne savent pas quel prétexte inventer pour ne pas acheter vos toiles. Une chose que je n'ai jamais rencontrée aux Etats-Unis, c'est oui ! C'est non mais ils ne cherchent pas de prétexte !...

Nous discutions donc de ce sujet avec Mr C..., mon courtier, il était déçu pour moi que cela ne marche pas à tous les coups.

- "Ah évidemment si vous saviez faire autre chose !.." me dit-il ....

- Et moi de répondre "Mais bien sur que je sais faire autre chose, vous savez, j'ai fait le nègre dans un atelier."

Alors on met au point une aventure incroyable !..

Comme il va beaucoup en Bretagne ou sur la côte Atlantique, je crée des "Marines" signées "LE GUINNEC" . Je peinds des nus signés "DELL", des paysages "RUSSELL" et bien sur mes nature mortes "DOMYNIK".

Mais attention ! Ce n'est pas l'arnaque du peintre qui m'employait comme nègre. Toutes les toiles sont faites par moi et ce sont tous des originaux.

Les affaires marchent bien et je jubile à l'idée des galeristes s'émerveillant sur "DELL" puis denigrant "LE GUINNEC" ou vice versa.

Donc si un jour, en vous promenant, vous découvrez par hazard un "RUSSEL" ou autre chose vous me ferez un petit clin d'oeil !...

Notre collaboration s'est arrêtée car il a pris sa retraite et je retrouverai d'autres courtiers plus tard.

Je recommencerais ce genre de chose une autre fois, mais j'arrêterais bien vite car l'intéressé se prendra au jeu.

Fort de cette expérience, mon frère, quelques années après me fera une proposition.

Peut être que les affaires marchaient un peu moins bien et voulant sans doute m'aider, il me dit :

- "Ecoutes, j'ai une idée, nous avons le même nom. Je me fais passer pour peintre, tu peins et signe "DEVILLERS".

La vie d 'artiste est compliquée et il faut faire vivre la famille, nous devions avoir au moins deux enfants et Patricia tenait la maison. J'accepte, espérant faire mieux bouillir la marmitte.

Mais l'affaire tourne court, car il finit par s'y croire un peu, organisant une ou deux expositions avec un certain succès et commence à me faire de l'ombre puis il y a des problèmes d'égo et le mien en prend un coup. Je ne le sens pas bien !... Entendre les compliments sur la peinture de mon frère dans la région devient trop dur et j'arrête.

Il y a une chose que je n'ai jamais dite, excepté à ma femme, c'est que tous ces tableaux signés "DEVILLERS" sont truffés d'indices en latin ou en anglais expliquant que n'est pas celui que l'on croit qui est l'auteur.

Comme quoi une idée n'est pas toujours à répéter. La première est géniale, la seconde est réchauffée. D'ailleurs, comme je l'expliquais auparavent, je me rappelle avec émotion de ma première toile exposée en galerie mais pas du tout de la seconde.